Dans une optique de mise en lumière de ses créateurs, l’équipe de La Tortue Noire a recueilli, lors d’une entrevue, les propos de Daniel Danis sur sa vision du théâtre jeunesse. Ce texte présente en quelques points les réflexions de l’artiste.
D’emblée, certains dramaturges et concepteurs avoueront que la création pour la jeunesse est très comparable à celle pour un public plus large. D’autres, au contraire, aborderont le théâtre jeunesse comme un langage unique, une manière de composer, à travers les yeux de l’enfant, avec certaines réalités du monde d’aujourd’hui et de demain. C’est le cas notamment de Daniel Danis, auteur du texte Kiwi et Un gamin au jardin, produits par La Tortue noire en 2007 et 2022.
« Les enfants sont tributaires de dangers ou de problèmes sociaux. Nous pouvons aborder avec eux des sujets comme la politique, par exemple, car ils en sont les premiers touchés. »
Un langage poétique
Pour déchiffrer le monde qui l’entoure, les enfants rêvent, traduisent en images et usent naturellement de poésie pour donner sens à ce qu’ils constatent, notamment dans leur univers, mais aussi chez celui des adultes.
« Certaines théories évoquent que les nouveau-nés rêveraient, avant même de naître, aux apprentissages qui leur sont innés. L’enfant est un rêveur, il a la capacité de trouver des solutions grâce à l’imaginaire. » dit Daniel Danis.
Dans ce contexte, il est intéressant pour le jeune spectateur de voir sur scène des récits où la résolution de conflits passe par des enfants, sans une nécessaire autorité parentale. Les petits voient alors comment les personnages se transforment par eux-mêmes d’un état premier à un état final avec l’aide d’adjuvants. Le chemin pour s’y rendre est source d’apprentissage.
Un médium pour comprendre
Le théâtre est donc un médium pour connecter les enfants avec l’invisible, mais il n’est pas le seul moyen.
« Des philosophes, comme Gilbert Durand, expliquent que l’imaginaire n’appartient pas seulement à la littérature. Il est en nous tous. En ce sens, le mental se distingue du rêve. Le premier est pollué par la culture de l’époque, alors que le deuxième est plus intrinsèque et propre à chaque individu. » rappelle Daniel Danis.
L’écrivain a d’ailleurs réalisé des échanges avec des enfants, constatant que ces derniers ont la capacité d’aborder tous les sujets, même la mort, en tissant leurs propres liens.
Les jeunes spectateurs, par rapport aux adultes, n’ont donc pas la même compréhension d’un texte ou d’une œuvre. À l’âge de 5 ans, par exemple, les petits plongent dans les histoires en y rattachant des bouts de leur mémoire personnelle et expérientielle. Les spectateurs un peu plus âgés, quant à eux, découperont intellectuellement le récit en différentes séquences, chercheront plutôt à comprendre dans leurs propres mots les images présentées sur scène.
« En comparaison, l’adulte vient au théâtre à la recherche du sacré. Il est en quête de l’être profond en lui qui rejoint les autres, loin de certains paramètres qui l’effraient. Il porte parfois un voile épais qui l’empêche d’entendre, cadrant dans un certain réel. L’enfant, lui, puise dans son imaginaire. »
La transposition de l’enfant sur scène
Il est difficile, en tant qu’humain, de trouver un écho significatif dans le monde face à ce qu’on ressent comme émotions ou sentiments. Cela est encore plus vrai lorsque l’on transpose l’enfant sur scène dans ses désirs, ses doutes, ses joies, ses réflexions ou ses aspirations. Le dramaturge et l’artiste adulte imaginent une transcription poétique, même imparfaite, de ce qu’est l’enfant. Les créateurs analysent comment l’enfance les touche particulièrement. C’est pourquoi ces derniers en appellent à la psychologie et la poésie. Au-delà de son intérêt général, l’artiste s’inspire d’abord de ce qui opère en lui.
« Je ne travaille pas sur une thématique en particulier, mais plutôt sur ce qui vient me chercher personnellement. Un enfant pauvre, par exemple, marquera davantage mon esprit. Je peux aisément me laisser imprégner par les visages. Cela vient peut-être de mes relations avec les mystères religieux. » explique Daniel Danis.
Certes, le dramaturge et les artistes ont d’abord été enfants et partagent avec leurs contemporains une relation particulière à l’enfance. Elle est source de création. Le théâtre jeunesse se distingue par ce caractère unique où l’artiste appréhende le monde sous un angle inévitablement différent.
Un exercice corporel
Daniel Danis avoue d’emblée que l’on confond parfois le théâtre avec un flot continu de paroles qui expriment. Or, le corps est poète. Il reflète ce qui vient de l’âme. Par l’exercice du jeu théâtral, l’enfant peut faire surgir à travers ses mouvements sa propre parole, ses émotions et une énergie nouvelle. De l’action peut naître davantage le verbe.
« Rappelons que les nations autochtones se comprenaient par des signes parlants, sans avoir besoin d’utiliser de mots. Le corps a ses mouvements. Ils ont du sens. »
Le théâtre est donc un dialogue. L’enfant voit les acteurs comme des messagers et traduit leurs gestes pour répondre à son questionnement. Il s’agit pour lui de l’invisible, du non-dit et de l’imaginaire qui s’approprient l’espace et le jeu. Ainsi, pour appréhender le théâtre et faire connecter l’enfant à son imaginaire, nous pouvons lui suggérer par exemple de laisser libre cours à un déluge de mots improvisés, puis de revenir avec lui à la méditation. Souvent, ce qui n’est pas dit transcende la parole et s’avère beaucoup plus évocateur.
En résumé
Un enfant au théâtre ou le théâtre pour enfants est un appel à la poésie. Le jeune spectateur est stimulé dans sa créativité par les images, le récit, le langage corporel. Il est important de le laisser rêver, de lui donner l’opportunité de révéler l’invisible pour résoudre les conflits qui lui sont propres. Le théâtre jeunesse est de cet art qui donne des clés à l’enfant pour comprendre le monde. Il est du rôle des artistes et des adultes qui l’entourent de le guider, mais aussi de le laisser cheminer par sa propre voie. Après tout, le théâtre est social et les enfants sont tributaires des problèmes des adultes, mais ils sont aussi les solutions de demain.
À propos de Daniel Danis
Daniel Danis est l’auteur de plus d’une vingtaine de pièces de théâtre, dont plusieurs pour le jeune public, qui ont été traduites en plusieurs langues et présentées partout dans le monde. Ses textes se méritent de nombreux prix au Québec, au Canada, en France et en Allemagne. En parallèle à l’écriture, cet artiste multidisciplinaire a entamé dans les dernières années des explorations en art durable. Daniel Danis a signé le texte KIWI qui a été créé par La Tortue Noire en 2007. Il a également signé le texte UN GAMIN AU JARDIN, en plus d’en assumer la mise en scène, dans une création de La Tortue Noire en 2022.
Photo de bannière: Un Gamin au jardin / Crédit photo: Samuel Gosselin / Avec Patrick Simard et Sara Moisan
Photo 2: Kiwi / Crédit photo: Patrick Simard / Avec Dany Lefrançois et Sara Moisan
Photo 3: L’Autre dans la cité / Crédit photo: Dany Lefrançois / Avec Patrick Simard, Martin Gagnon et Anne-Louise Imbeau
Photo 4: Le Grand Oeuvre / Crédit photo: Patrick Simard / Avec Martin Gagnon
Photo 5: Un Gamin au jardin / Crédit photo: Samuel Gosselin / Avec Patrick Simard
Photo 6: Un Gamin au jardin / Crédit photo: Samuel Gosselin / Avec Patrick Simard, Sara Moisan et Dany Lefrançois
Photo 7: Daniel Danis / Crédit photo: Marie-France Coallier Le Devoir